Dante 700 ansImages2. Paolo et Francesca

22 avril 20210

Les amours funestes de Paolo et Francesca sont célèbres depuis que Dante les a im­mortalisées dans le chant V de L’Enfer. Elles ont inspiré de nombreux peintres et artistes et donné lieu à une production d’œuvres riche et variée : gravures, sculptures, adaptations dramatiques ou lyriques, films, chorégraphies.

Au XIII -ème siècle, deux familles de pouvoir, en Romagne, longtemps en conflit, finissent par s’allier. Guido da Polenta, seigneur de Ravenne va marier sa fille Francesca à Giovanni Malatesta connu comme Gianciotto, ou Giovanni lo Sciancato (Jean l’estropié), seigneur de Rimini, qui était, dit-on, laid et difforme. Selon Boccaccio, cette union se serait fondée sur un malentendu car la jeune femme croyait devenir l’épouse du frère cadet de Giovanni, le jeune et beau Paolo qui avait négocié ce mariage.

C’est en lisant les amours tragiques de Guenièvre et Lancelot que Paolo et Francesca découvrent leur passion et deviennent amants. Même si les sources documentaires ne le confirment pas, l’histoire légendaire de ce couple raconte qu’en 1285 Gianciotto les aurait surpris et tués d’un coup d’épée.

Dante aurait connu réellement Paolo Malatesta en 1282 à l’âge de 17 ans. Quant à Francesca, elle était la tante de Guido Novello da Polenta qui accueillit Dante les dernières années de sa vie.

LE BAISER

(Francesca)

« Noi leggiavamo un giorno per diletto
di Lancialotto come amor lo strinse ;
soli eravamo e sanza alcun sospetto.

Per più fïate li occhi ci sospinse
quella lettura, e scolorocci il viso ;
ma solo un punto fu quel che ci vinse.    

Quando leggemmo il disïato riso
esser basciato da cotanto amante,
questi, che mai da me non fia diviso,

la bocca mi basciò tutto tremante.
Galeotto fu ‘I libro e chi lo scrisse :
quel giorno più non vi leggemmo avante. »

« Nous lisions un jour par récréation
comment Lancelot fut d’amour saisi ;
nous étions seuls et sans aucun soupçon.

Plusieurs fois cette lecture nous fit
lever les yeux et fit pâlir nos traits ;
mais il n’y eut qu’un point qui nous vainquit.

Lorsque nous lûmes que le sourire aimé
était baisé par un si noble amant,
lui, dont je ne serai plus séparée,

me baisa sur la bouche tout tremblant.
Galehaut fut le livre et l’écrivit :
ce jour-là nous ne lûmes pas plus avant. »

Extrait de L’Enfer, chant V : 127 à 136, La Divine Comédie de Dante Alighieri, traduit de l’italien par Danièle Robert , 2018, Actes Sud, Arles

Dans la période romantique du XIXème siècle, les peintres s’emparent du thème du baiser échangé pendant la lecture du roman Lancelot du lac qui constitue l’élément clé de la passion amoureuse de Francesca et Paolo. S’agit-il du commencement de leur amour ou du moment qui signe leur mort ?

La scène du baiser a été reprise par de nombreux peintres parmi lesquels Coupin de la Couperie, William Dyce, Michelangelo Grigoletti, Mose Bianchi et jusqu’à nos jours avec des représentations fort différentes et dont certaines qui mettent à nu les protagonistes en privilégiant des postures plus sensuelles.

Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780 -1867)
Paolo et Francesca (1819) huile sur toile, Musée des Beaux-arts, Angers

Ce tableau est l’une des sept versions que le peintre a consacrées à l’histoire des malheureux amants.

Le couple est en train de lire les amours de Lancelot et Guenièvre. Lorsqu’ils entament le passage où Lancelot embrasse la reine, Paolo vient cueillir un baiser et le livre glisse le long de la robe de Francesca. Remarquons le pot de fleur à gauche et en arrière plan à droite, la sombre figure du mari qui surgit derrière un rideau.

Miquel Barceló (1957)

Francesca da Rimini et Paolo Malatesta, aquarelle  tirée de La Divina Comedia « Infierno »,  Galaxia Guttenberg, Círculo de Lectores , 2003

Auguste Rodin (1840 – 1917)
Détail de la main gauche de Paolo tenant encore le livre
Le Baiser (1882) marbre, Musée Auguste Rodin, Paris

Le baiser (titre qui remplace l’original Francesca da Rimini) était positionné initialement en bas de la complexe création en bronze La Porte de l’Enfer entamée en 1880‌ et composée de plusieurs figures inspirées de la Divina Commedia. Plus tard, au moment de sa relation avec Camille Claudel, Rodin décide d’en faire une œuvre individuelle. Il achèvera la version en marbre grandeur nature seulement dix ans plus tard pour le Salon de Paris de 1898.

LA MISE A MORT

D’autres peintres se sont attachés plutôt à la représentation de la mise à mort des deux amants par la main du mari trahi qui les surprend et les tue.

Gaetano Previati
(1852 – 1929)

Mort de Paolo et Francesca (1887) huile sur toile, Académie Carrara, Bergame

Chez Gaetano Previati, mise en scène théâtrale des deux corps  transpercés, d’un seul coup par la même épée, au pied d’un lit qui évoque la liaison amoureuse. Le caractère tragique est accentué par le choix chromatique et le jeu d’ombres et lumières.

Alexandre Cabanel
(1823 – 1889)

Mort de Francesca da Rimini et de Paolo Malatesta (1870) huile sur toile, Musée d’Orsay, Paris

Chez Alexandre Cabanel, on retrouve le livre par terre rappelant que «  Galeotto fu ‘il libro ». Le mari assassin se tient derrière l’épais rideau avec dans sa main l’épée  ensanglantée.

DANS L’AUTRE MONDE

Dante et Virgile rencontrent Paolo et Francesca dans le deuxième cercle de l’Enfer réservé aux coupables de luxure où les âmes sont emportées et frappées par un tourbillon qui les pousse vers un précipice. Mêlé aux corps blancs fantomatiques, le couple s’en détache pour s’approcher d’eux et Francesca livre leur histoire qui suscitera à tel point la pitié de Dante qu’il finit par s’évanouir :

« Mentre che l’uno spirto questo disse,
l’alto piangëa ; sì che di pietade
io venni men cos
ì com’ io morisse.
E caddi come corpo morto cade. »

« Durant ce récit de l’un des esprits,
l’autre pleurait ; si bien que de pitié
comme si je mourais je défaillis.
Et comme tombe un corps mort, je tombai. »

Extrait de L’Enfer, chant V : 139 à 142, La Divine Comédie de Dante Alighieri, traduit de l’italien par Danièle Robert, 2018, Actes Sud, Arles

Dans les deux œuvres ci-dessous qui s’opposent encore dans leur chromatisme, les deux corps nus flottants n’en font qu’un seul, enlacés à jamais et enveloppés dans un voile qui fait office de linceul. Au couple d’amants fait écho le couple de Dante et Virgile, eux aussi presque fondus et se tenant souvent par la main.

Pierre-Claude-François Delorme (1783 – 1859)

Francesca de Rimini et Paolo Malatesta (1825) sanguine et craie blanche sur toile, Musée municipal, Sens

Ary Scheffer
(1796 – 1858)


Les ombres de Francesca da Rimini et de Paolo Malatesta apparaissent à Dante et à Virgile (1835) huile sur toile, Wallace Collection, Londres

Dante Gabriel Rossetti  (1828 – 1882)

Sa famille britannique lui donne le prénom de Dante en hommage au poète florentin. Il fonde la confrérie préraphaélite en 1848. (Guillaume Morel, Les Préraphaélites de Rossetti à Burnes-Jones, 2013, Place des victoires, Paris).


Paolo et Francesca da Rimini
(1862) aquarelle sur papier, Walter Art Gallery , Liverpool

Cette aquarelle reprend le thème de l’amour et de la mort.

À gauche, nous retrouvons le couple en vie : les mains entrelacées, le livre de Lancelot sur les genoux, ils échangent un baiser. Sous les personnages est inscrit un vers de Dante : « Quanti dolci pensier, quanto disio » (« Que de douces pensées, quel désir ») qui exprime la réaction du poète au récit de Francesca.

Dans la partie centrale, Virgile et Dante se tenant là encore par la main, observent avec attention les deux amants.

Dans la partie droite, les deux amants morts et condamnés à leur châtiment, flottent dans les bras l’un de l’autre au milieu des flammes de l’enfer.

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La Divine Comédie vue par 15 artistes contemporains

Par Andrea Ciarlariello

En 2006, le Comité Dante de Foligno, sous la direction d’Italo Tomassoni et soutenu par la Municipalité avec la contribution de la Fondation de la Cassa di Risparmio di Foligno, a lancé un projet ambitieux.: demander à des artistes contemporains d’interpréter et d’illustrer la Divine Comédie,

Ont répondu à cet appel, 15 artistes représentants de la Transavanguardia, de l’École de San Lorenzo, de l’Anachronisme et de l’Hypermanierisme, qui ont produit pour l’occasion 3 ou 4 œuvres chacun.: Omar Galliani, Ivan Theimer, Bruno Ceccobelli, Mimmo Paladino, Giuseppe Gallo, Enzo Cucchi, Piero Pizzi Cannella, Stefano Di Stasio, Marco Tirelli, Sandro, Gianni Dessì, Nunzio Di Stefano, Emilio Isgrò, Giuseppe Stampone et Roberto Barni

Après avoir enchanté le public de Buenos Aires, où l’exposition a été présentée à l’occasion du 83e Congrès international de Dante ce corpus constamment mis à jour est exposé du 5 au 16 mars au Palazzo Firenze sous la coordination scientifique de Chiara Barbato et Valentina Spata avec le soutien du Ministère du Patrimoine Culturel et des Activités en collaboration avec la Municipalité et le Comité Dantesque de Foligno.

Selon le Secrétaire général de La Dante Alighieri, Alessandro Masi: « Dante représente un défi incontournable pour les artistes du XXe siècle : De Guttuso, qui a illustré toute la Divine Comédie, à Dali et Isgrò lui-même. Dante représente un point fondamental dans l’imaginaire : là où l’homme traverse le sacré. Que nous le voulions ou non, nous appartenons au sacré et c’est au sacré que nous revenons. Dante nous le rappelle. L’art ne peut s’empêcher de révéler le divin et, comme le dit l’exégète français Paul Beauchamp, de rendre l’insupportable supportable ».