Dante 700 ansImages2. Paolo et Francesca
Les amours funestes de Paolo et Francesca sont célèbres depuis que Dante les a immortalisées dans le chant V de L’Enfer. Elles ont inspiré de nombreux peintres et artistes et donné lieu à une production d’œuvres riche et variée : gravures, sculptures, adaptations dramatiques ou lyriques, films, chorégraphies.
Au XIII -ème siècle, deux familles de pouvoir, en Romagne, longtemps en conflit, finissent par s’allier. Guido da Polenta, seigneur de Ravenne va marier sa fille Francesca à Giovanni Malatesta connu comme Gianciotto, ou Giovanni lo Sciancato (Jean l’estropié), seigneur de Rimini, qui était, dit-on, laid et difforme. Selon Boccaccio, cette union se serait fondée sur un malentendu car la jeune femme croyait devenir l’épouse du frère cadet de Giovanni, le jeune et beau Paolo qui avait négocié ce mariage.
C’est en lisant les amours tragiques de Guenièvre et Lancelot que Paolo et Francesca découvrent leur passion et deviennent amants. Même si les sources documentaires ne le confirment pas, l’histoire légendaire de ce couple raconte qu’en 1285 Gianciotto les aurait surpris et tués d’un coup d’épée.
Dante aurait connu réellement Paolo Malatesta en 1282 à l’âge de 17 ans. Quant à Francesca, elle était la tante de Guido Novello da Polenta qui accueillit Dante les dernières années de sa vie.
LE BAISER
(Francesca)
« Noi leggiavamo un giorno per diletto
di Lancialotto come amor lo strinse ;
soli eravamo e sanza alcun sospetto.
Per più fïate li occhi ci sospinse
quella lettura, e scolorocci il viso ;
ma solo un punto fu quel che ci vinse.
Quando leggemmo il disïato riso
esser basciato da cotanto amante,
questi, che mai da me non fia diviso,
la bocca mi basciò tutto tremante.
Galeotto fu ‘I libro e chi lo scrisse :
quel giorno più non vi leggemmo avante. »
« Nous lisions un jour par récréation
comment Lancelot fut d’amour saisi ;
nous étions seuls et sans aucun soupçon.
Plusieurs fois cette lecture nous fit
lever les yeux et fit pâlir nos traits ;
mais il n’y eut qu’un point qui nous vainquit.
Lorsque nous lûmes que le sourire aimé
était baisé par un si noble amant,
lui, dont je ne serai plus séparée,
me baisa sur la bouche tout tremblant.
Galehaut fut le livre et l’écrivit :
ce jour-là nous ne lûmes pas plus avant. »
Extrait de L’Enfer, chant V : 127 à 136, La Divine Comédie de Dante Alighieri, traduit de l’italien par Danièle Robert , 2018, Actes Sud, Arles
Dans la période romantique du XIXème siècle, les peintres s’emparent du thème du baiser échangé pendant la lecture du roman Lancelot du lac qui constitue l’élément clé de la passion amoureuse de Francesca et Paolo. S’agit-il du commencement de leur amour ou du moment qui signe leur mort ?
La scène du baiser a été reprise par de nombreux peintres parmi lesquels Coupin de la Couperie, William Dyce, Michelangelo Grigoletti, Mose Bianchi et jusqu’à nos jours avec des représentations fort différentes et dont certaines qui mettent à nu les protagonistes en privilégiant des postures plus sensuelles.
Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780 -1867)
Ce tableau est l’une des sept versions que le peintre a consacrées à l’histoire des malheureux amants.
Le couple est en train de lire les amours de Lancelot et Guenièvre. Lorsqu’ils entament le passage où Lancelot embrasse la reine, Paolo vient cueillir un baiser et le livre glisse le long de la robe de Francesca. Remarquons le pot de fleur à gauche et en arrière plan à droite, la sombre figure du mari qui surgit derrière un rideau.
Miquel Barceló (1957)
Francesca da Rimini et Paolo Malatesta, aquarelle tirée de La Divina Comedia « Infierno », Galaxia Guttenberg, Círculo de Lectores , 2003
Auguste Rodin (1840 – 1917)
Le baiser (titre qui remplace l’original Francesca da Rimini) était positionné initialement en bas de la complexe création en bronze La Porte de l’Enfer entamée en 1880 et composée de plusieurs figures inspirées de la Divina Commedia. Plus tard, au moment de sa relation avec Camille Claudel, Rodin décide d’en faire une œuvre individuelle. Il achèvera la version en marbre grandeur nature seulement dix ans plus tard pour le Salon de Paris de 1898.
LA MISE A MORT
D’autres peintres se sont attachés plutôt à la représentation de la mise à mort des deux amants par la main du mari trahi qui les surprend et les tue.
Gaetano Previati
(1852 – 1929)
Mort de Paolo et Francesca (1887) huile sur toile, Académie Carrara, Bergame
Chez Gaetano Previati, mise en scène théâtrale des deux corps transpercés, d’un seul coup par la même épée, au pied d’un lit qui évoque la liaison amoureuse. Le caractère tragique est accentué par le choix chromatique et le jeu d’ombres et lumières.
Alexandre Cabanel
(1823 – 1889)
Mort de Francesca da Rimini et de Paolo Malatesta (1870) huile sur toile, Musée d’Orsay, Paris
Chez Alexandre Cabanel, on retrouve le livre par terre rappelant que « Galeotto fu ‘il libro ». Le mari assassin se tient derrière l’épais rideau avec dans sa main l’épée ensanglantée.
DANS L’AUTRE MONDE
Dante et Virgile rencontrent Paolo et Francesca dans le deuxième cercle de l’Enfer réservé aux coupables de luxure où les âmes sont emportées et frappées par un tourbillon qui les pousse vers un précipice. Mêlé aux corps blancs fantomatiques, le couple s’en détache pour s’approcher d’eux et Francesca livre leur histoire qui suscitera à tel point la pitié de Dante qu’il finit par s’évanouir :
« Mentre che l’uno spirto questo disse,
l’alto piangëa ; sì che di pietade
io venni men così com’ io morisse.
E caddi come corpo morto cade. »
« Durant ce récit de l’un des esprits,
l’autre pleurait ; si bien que de pitié
comme si je mourais je défaillis.
Et comme tombe un corps mort, je tombai. »
Extrait de L’Enfer, chant V : 139 à 142, La Divine Comédie de Dante Alighieri, traduit de l’italien par Danièle Robert, 2018, Actes Sud, Arles
Dans les deux œuvres ci-dessous qui s’opposent encore dans leur chromatisme, les deux corps nus flottants n’en font qu’un seul, enlacés à jamais et enveloppés dans un voile qui fait office de linceul. Au couple d’amants fait écho le couple de Dante et Virgile, eux aussi presque fondus et se tenant souvent par la main.
Pierre-Claude-François Delorme (1783 – 1859)
Francesca de Rimini et Paolo Malatesta (1825) sanguine et craie blanche sur toile, Musée municipal, Sens
Ary Scheffer
(1796 – 1858)
Les ombres de Francesca da Rimini et de Paolo Malatesta apparaissent à Dante et à Virgile (1835) huile sur toile, Wallace Collection, Londres
Dante Gabriel Rossetti (1828 – 1882)
Sa famille britannique lui donne le prénom de Dante en hommage au poète florentin. Il fonde la confrérie préraphaélite en 1848. (Guillaume Morel, Les Préraphaélites de Rossetti à Burnes-Jones, 2013, Place des victoires, Paris).
Paolo et Francesca da Rimini (1862) aquarelle sur papier, Walter Art Gallery , Liverpool
Cette aquarelle reprend le thème de l’amour et de la mort.
À gauche, nous retrouvons le couple en vie : les mains entrelacées, le livre de Lancelot sur les genoux, ils échangent un baiser. Sous les personnages est inscrit un vers de Dante : « Quanti dolci pensier, quanto disio » (« Que de douces pensées, quel désir ») qui exprime la réaction du poète au récit de Francesca.
Dans la partie centrale, Virgile et Dante se tenant là encore par la main, observent avec attention les deux amants.
Dans la partie droite, les deux amants morts et condamnés à leur châtiment, flottent dans les bras l’un de l’autre au milieu des flammes de l’enfer.
Pour aller plus loin :
- Lecture du texte de Paolo et Francesca par Danièle Robert : https://www.youtube.com/watch?v=qK9Bl-Eqpb8
- Cinéma : Paolo et Francesca (1849) par Raffaello Matarazzo, Paolo et Francesca (1971) par Gianni Vernuccio
- Opéras : Francesca da Rimini (1914) du compositeur Riccardo Zandonai, livret de Gabriele D’Annunzio (1901) – Francesca da Rimini (1905) du compositeur Rachmaninov
- Chorégraphies : Commedia (1993) de Carolyn Carlson – La Divine Comédie (2015) de Virgilio Sieni
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